Mgr Dominique Le Tourneau

Les origines de la liturgie des heures

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Le sujet qui est proposé à notre méditation ce soir est « la liturgie des heures ». Le libellé inclut le terme « liturgie », qui demande une explication préalable. Nous avons bien une notion de la liturgie. Mais saurions-nous la définir ? Rassurez-vous, les liturgistes ne sont pas arrivés à en donner une qui soit définitive ! Dans son encyclique Mediator Dei Pie XII avait défini la liturgie comme étant « le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme chef de l’Église ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son chef et, par lui, au Père éternel ; c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du chef et de ses membres » . Cette définition a été jugée déficiente, car, si elle met bien en lumière l’aspect cultuel de la liturgie, elle ne prend pas en compte sa fonction sanctificatrice.

C’est pourquoi le concile Vatican II nous apporte une définition plus précise et plus complète. Nous lisons, dans la constitution sur la liturgie, que « c’est à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, puisqu’en elle, par des signes sensibles, est signifiée et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux la sanctification de l’homme et est exercée par le Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire par le chef et les membres, le culte public intégral » . Cette définition s’appuie manifestement sur celle de Pie XII, mais elle y ajoute une mention explicite des « signes sensibles » ou sacrements qui sont constitutifs de la liturgie.

Le mot grec leiturgia désignait une fonction publique, un service public accompli au bénéfice de tout le peuple. La liturgie vise donc clairement un bien public de la communauté ecclésiale, qui est le bien commun des fidèles. Ce bien commun se réalise donc dans la liturgie qui « est le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » . Ainsi la Liturgie est la forme d’expression la plus élevée du munus sanctificandi de l’Église, de sa « fonction de sanctification ». Le Code de droit canonique l’exprime en ces termes, en même temps qu’il donne une description de la liturgie : « L’Église remplit sa fonction de sanctification d’une manière particulière par la sainte liturgie qui, en vérité, est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ ; la sanctification des hommes y est signifiée par des choses sensibles et réalisée selon le mode propre à chacun d’eux, et le culte public intégral de Dieu y est célébré par le corps mystique de Jésus-Christ, Tête et membres » .

Il est intéressant de jeter un coup d’œil à la structure du Livre IV du Code qui traite précisément de « la fonction de sanctification de l’Église ». La première partie est sans surprises : elle traite des sacrements en général et en particulier. Cette première partie est suivie d’une deuxième, intitulée « les autres actes du culte divin », où il est question des sacramentaux, de la liturgie des heures, des funérailles ecclésiastiques, du culte des saints, des saintes images et des reliques, du vœu et du serment. Y fait suite une troisième partie consacrée aux lieux sacrés et aux temps sacrés, les lieux sacrés étant les églises, les oratoires et les chapelles privées, les sanctuaires, les autels et les cimetières, et les temps sacrés, les jours de fête et les jours de pénitence. Les sanctuaires évoquent les pèlerinages. Il faudrait mentionner également les processions, mais aussi tout le culte qui entoure l’Eucharistie : L’adoration du Christ dans ce sacrement d’amour doit trouver ensuite son expression en diverses formes de dévotion eucharistique : prières personnelles devant le Saint-Sacrement, heures d’adoration, expositions brèves, prolongées, annuelles (quarante heures), bénédictions eucharistiques, processions eucharistiques, congrès eucharistiques » . Nous voyons ainsi que si le culte sacramentaire occupe une place principale, la liturgie ne se réduit néanmoins pas à lui, mais le déborde largement.

Ces prolégomènes étant posés, venons-en à l’aspect de la liturgie qui doit retenir notre attention ce soir, la liturgie des heures. Il est sans doute utile d’en faire un développement historique afin de dégager les évolutions qui se sont fait jour au long des siècles (I), avant de passer à l’examen de l’office divin, qui est un autre nom de la liturgie des heures (II).

I. L’historique de la liturgie des heures

Le point de départ est la constitution apostolique Laudis canticum, par laquelle Paul VI a promulgué l’office divin revu et corrigé en fonction des orientations données par le concile Vatican II dans sa constitution sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, aux nos 83-101. Nous puiserons aussi dans l’Institutio Generalis de Liturgia horarum, ou Présentation générale de la liturgie des heures, en 286 points. Nous verrons sommairement l’état de la question jusqu’au concile Vatican II (A), puis les modifications apportées à l’office divin par le dit concile (B).

A) L’office divin jusqu’à la dernière assemblée conciliaire

Laudis canticum, « le chant de louange ». Le nom du document de Paul VI est tout à fait approprié, car l’office divin poursuit le chant de louange du Père que le Christ lui-même a entonné sur terre. L’Église s’est pliée dès le début à la prescription du Seigneur : « Il faut prier toujours sans jamais se lasser » (Lc 18, 1). Elle exhorte les fidèles en ce sens avec des mots de l’épître aux Hébreux : « Par lui, Jésus, offrons sans cesse à Dieu une hostie de louange » (He 13, 15).
Nous avons vu, en étudiant les Actes des apôtres l’an dernier, que les premiers chrétiens étaient « assidus aux enseignements des apôtres et aux réunions communes, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 46). La fractio panis, c’est-à-dire la messe, était précédée, dans la nuit du samedi au dimanche, d’une veillée de prière comportant le chant de psaumes, la lecture d’un passage de la Bible et des oraisons . Vinrent s’y ajouter des jours de jeûne, le mercredi et le vendredi, avec prières, lectures, chants, exhortations et éventuellement l’Eucharistie. Il n’existait pas de prière commune en dehors de ces réunions. Bientôt l’usage s’établit d’adresser à Dieu des prières privées le matin et le soir, correspondant aux matines et aux vêpres.

À partir du IVème s., ces prières pour différentes heures du jour sont récitées en commun dans les communautés d’ascètes et les monastères. Dès le Vème s. elles le sont tous les jours dans les églises, sous la présidence de l’évêque et, au début, en présence du peuple. Plus tard, ce devint une obligation du clergé de réciter l’office canonique de nuit comme de jour comme un legs des ascètes. Divers conciles, puis le Code de Justinien, rappellent cette obligation des clercs, qui va s’étendre aussi à la récitation privée de l’office lorsque le clerc n’a pas pu prendre part à la célébration commune.

La Règle de saint Benoît établit, dans le même sens, que « les frères qui sont à fait loin au travail et ne peuvent arriver à l’heure voulue à l’oratoire, accomplissent l’œuvre de Dieu là même où ils travaillent... ; et de même feront aussi les moines en voyage » . La coutume identique se retrouve dans un texte d’Hincmar, évêque de Reims, repris dans le Décret de Gratien .

Après la disparition de la vie commune des clercs, l’obligation de la psalmodie subsiste dans les églises cathédrales, collégiales et conventuelles, mais les autres clercs sont tenus de réciter l’office divin en privé. Le IVème concile de Latran, en 1215, est on ne peut plus explicite. Il fustige les clercs mineurs et les prélats qui « passent presque la moitié de la nuit en festins superflus et en propos indécents, pour ne rien dire de plus » et qui passent « toute la marinée dans un assoupissement continu », ainsi que ceux qui, s’il leur arrive d’assister à la messe, « fuyant le silence du chœur, sont attentifs aux conversations profanes des laïcs et, étant toute ouïe à des propos indus, ils ne prêtent aucune oreille attentive au service divin ». Les Pères disposent alors ce qui suit : « Nous interdisons absolument sous peine de suspense de telles manières de faire et d’autres semblables, ordonnons sévèrement, en vertu de l’obéissance, qu’ils aient à cœur de célébrer avec dévotion l’office divin, de jour comme de nuit, autant que Dieu leur donnera de pouvoir le faire » .

À compter du XIIIème s., canonistes et moralistes enseignent que les clercs majeurs et les bénéficiers sont tenus de réciter les heures. Le concile de Bâle, en 1435, statue que « dans toutes les églises cathédrales et collégiales, aux heures dues, (...), les louanges divines soient accomplies avec respect par tous à chaque heure, non pas à la course et à la hâte, mais en distinguant les mots, lentement, et avec la pause convenable » .

L’obligation dont il est question est fondée sur une coutume universelle, mais est dépourvue de fondement légal. À la demande de nombreux évêques, le concile Vatican I avait préparé un texte dans lequel on peut lire que « les clercs meminerint, se souviendront qu’ils sont tenus sous peine de faute grave à réciter en entier l’office divin chaque jour soit dans l’église soit en privé ». Meminerint est le rappel d’une obligation existante, non l’instauration d’une nouvelle obligation. Ce texte n’a pas été soumis à discussion, le concile ayant dû ajourner ses travaux par suite de la guerre franco-prussienne.

Il revint au code pie-bénédictin de 1917 d’officialiser l’obligation de la récitation de l’office par les clercs. Une disposition identique existait pour les bénéficiers, les chapitres de chanoines et les instituts religieux d’hommes et de femmes où existait l’obligation de chœur . Ce texte précisait la façon de réciter l’office divin, déterminé en détail dans les livres liturgiques approuvés par l’Église, appelés bréviaires.

L’office divin était réalisé, en effet, en suivant des textes précis. D’où provenait le bréviaire ? L’office romain, codifié à l’époque de Charlemagne, exigeait d’employer plusieurs volumes : psautiers, antiphonaires, responsoriaux, homiliaires, passionnaires, collectaires, hymnaires, martyrologes. C’était à la foi onéreux et peu maniable. D’où la confection d’un abrégé à l’usage des églises paroissiales et des petits prieurés, qui est à l’origine du bréviaire, qui veut dire littéralement « abrégé ». Avec l’apparition de la célébration privée de l’office dont il a été question, la nécessité se fait jour de disposer d’un ouvrage maniable. Apparaissent ainsi des breviaria itineraria ou portatilia, dont le nom indique bien la fonction. Puis avec Innocent III (1198-1216) la première édition du bréviaire pontifical voit le jour.

Au fil du temps, des ajouts vinrent altérer la structure de l’office divin. Une réforme du bréviaire fut entreprise au concile de Trente mais, faute de temps, elle ne put être menée à son terme. C’est saint Pie V qui, en 1568, promulgua le nouveau bréviaire romain, abolissant du même coup tous les anciens bréviaires existants (des ordres religieux, comme les Franciscains, avaient leur bréviaire propre). Pie V introduit donc l’uniformité dans l’Église latine.

Des réformes mineures furent introduites notamment par les papes Sixte-Quint, Clément VIII, Urbain VIII, Clément XI. En 1911, saint Pie X promulgua un bréviaire révisé, qui modifiait la distribution des psaumes, répartis désormais sur la semaine, et permettant d’adapter l’office de la férie et le cycle des lectures bibliques aux offices des saints. L’office du dimanche prenait désormais habituellement le pas sur la célébration des saints.

Une réforme fut entreprise par Pie XII, qui comportait une nouvelle version du psautier préparée par l’Institut biblique pontifical. Il consulta quatre cents évêques qui ne remirent pas en cause le caractère clérical du bréviaire. Les rubriques furent simplifiées par un décret de 1955. Le même Pie XII avait publié entre-temps, le 20 novembre 1947, l’encyclique Mediator Dei sur la sainte liturgie dont la troisième partie portait sur « l’office divin et l’année liturgique ». Le bienheureux Jean XXIII qui publia en 1960 des normes de révision intitulées Code des rubriques. Le même Pontife romain confia au concile Vatican II le soin de réviser la liturgie en général.

(à suivre...)

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