Mgr Dominique Le Tourneau

Le pontife universel (2)

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B) Le dialogue interreligieux

Le dialogue interreligieux est engagé tout d’abord avec les deux autres religions monothéistes que sont le judaïsme et l’islam, puis avec d’autres confessions religieuses.

1. Le judaïsme

Lors de chacun de ses déplacements à l’étranger, le Souverain Pontife Benoît XVI n’a pas manqué de poser des gestes forts en direction des Juifs : à Cologne, dont il a visité la synagogue (Allemagne, août 2005), au camp d’Auschwitz-Birkenau (Pologne, mai 2006), à la Juden Platz de Vienne (Autriche, septembre 2007), à Washington et à New York (États-Unis, avril 2008). À Rome, il a reçu les deux Grands Rabbins d’Israël (septembre 2005) et le Grand Rabbin de Rome (janvier 2006), ainsi que les chefs de l’État d’Israël (en 2005, 2006 et 2007) étant lui-même reçu à la synagogue. Renouvelant l’invitation faite par Ariel Sharon, Shimon Peres a fait savoir au Pape qu’il était attendu en Israël. Le déplacement est programmé en Israël et à Gaza du 8 au 15 mai 2009.
Un moment chargé d’émotion spécialement intense et apprécié de nos « frères aînés » dans la foi a été la prière de Jean-Paul II devant le mur des Lamentations, dans lequel il a déposé une teshouva, par laquelle il demande pardon « pour vivre une fraternité authentique avec le Peuple de l’alliance ». Il s’y dit « profondément attristé par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire, ont fait souffrir vos enfants et nous demandons votre pardon » .
À Paris même, Benoît XVI déclarait aux représentants de la communauté juive, « je ne peux omettre, en une occasion comme celle-ci, de mentionner le rôle éminent joué par les Juifs de France pour l’édification de la Nation tout entière, et leur prestigieuse contribution à son patrimoine spirituel. Ils ont donné - et continuent de donner - de grandes figures politiques, intellectuelles et artistiques. Je forme des vœux respectueux et affectueux à l’adresse de chacun d’entre eux, et j’appelle avec ferveur sur toutes vos familles et sur toutes vos communautés une Bénédiction particulière du Maître des temps et de l’Histoire ». Il réaffirmait que « par sa nature même, l’Église catholique désire respecter l’Alliance conclue par le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Elle s’inscrit, elle aussi, dans l’Alliance éternelle du Tout Puissant dont les desseins sont sans repentance, et elle respecte les fils de la Promesse, les fils de l’Alliance, ses frères aimés dans la foi. Elle redit avec force par ma voix les paroles du grand Pape Pie XI, mon vénéré prédécesseur : « Spirituellement, nous sommes des sémites » (Allocution à des pèlerins belges, 6.09.1998). Ainsi, l’Église s’élève contre toute forme d’antisémitisme dont aucune justification théologique n’est recevable ».

2. L’islam

À Cologne, le pape déclarait que « le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut se réduire à un choix passager. Il est en effet une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir » (Discours aux représentants de Communautés musulmanes, 20 août 2005). L’année suivante, en septembre 2006, le pape Benoît XVI réaffirmait son « souhait de continuer d’établir des ponts d’amitié avec les adhérents de toutes les religions, manifestant particulièrement mon appréciation de la croissance du dialogue entre musulmans et chrétiens » (cf. Discours aux représentants des Églises et Communautés chrétiennes, et aux autres traditions religieuses, 25 avril 2005) et ce, dans l’esprit du Concile Vatican II qui a déclaré que « l’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes et aux décrets duquel, même s’ils sont cachés, ils s’efforcent de se soumettre de toute leur âme, comme s’est soumis à Dieu Abraham, à qui la foi islamique se réfère volontiers » (Déclaration Nostra ætate, n° 3) ».
Lors de son voyage à Istanboul, le pape Benoît XVI a rencontré les chefs religieux de l’islam. Le quiproquo médiatique qui a suivi le discours de Ratisbonne a eu l’avantage de susciter un intérêt pour l’Église catholique de la part de responsables religieux musulmans, dont 138 d’entre eux ont adressé, le 11 octobre 2007, une lettre ouverte « au pape Benoît XVI et aux responsables chré-tiens », à laquelle le pape a fait répondre, le 30 novembre suivant, par le cardinal Bertone, Secrétaire d’État, leur proposant de recevoir une délégation de ces responsables religieux et de tenir une réunion de travail avec le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux (cf. la Documentation Catholique 104 (2007), p. 70-81 et 84-85). Un premier forum sur le thème de « l’amour de Dieu » et « l’amour du prochain », a réuni des digni-taires musulmans et catholiques du monde entier au Vatican le 20 mars dernier. Le pape Benoît XVI a souligné jeudi l’importance de « la liberté individuelle de conscience » et de la « liberté religieuse », disant son « espoir » « que les droits humains fondamentaux soient garantis à tous et partout ». « Les dirigeants politiques et religieux ont le devoir d’assurer le libre exercice de ces droits dans le plein respect de la liberté individuelle de conscience et de la liberté religieuse », a-t-il ajouté.

3. Les autres religions

Dans un message à la xiie Rencontre « Hommes et religions », à Bucarest, Jean-Paul II souligne que les religions manifestent l’aspiration universelle à la compréhension et à l’entente (1998). Il cherche à souligner les points communs, comme le concile Vatican II l’avait fait. Loin de tout syncrétisme religieux, il propose d’instaurer « une société plus juste et plus pacifique où les pauvres seront les premiers servis » (message aux peuples de l’Asie, 1982), de « collaborer à la promotion de la justice, la paix et le développement » (discours aux musulmans du Nigeria, 1982), d’« éliminer faim, pauvreté, ignorance, persécution, discrimination et toute forme d’esclavage de l’esprit humain » (Nouvelle Delhi, 1986), de « promouvoir et défendre des idéaux communs dans les domaines de la liberté religieuse, de la frater-nité humaine, de l’éducation, de la culture, du bien-être social et de l’ordre civique » (Madras, 1986).
Au cours de ses voyages, le pape rencontre les représentants des autres religions : « Dans notre engagement au service de l’homme, nous, chrétiens, sommes disposés et prêts à collaborer avec vous en faveur de la dignité de l’homme, de ses droits innés, du caractère sacré de la vie, y compris dans le sein de sa mère, de sa liberté et de son autonomie sur le plan individuel et social, de son éducation morale et de la primauté de sa dimension spirituelle » (aux représentants des religions non chrétiennes, Tokyo, 1981). Mais cette main tendue peut être refusée, comme par les bouddhistes, au Sri Lanka (1995).
En 1991, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples diffusent un document appelé Dialogue et annonce. Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Évangile. Le même conseil souligne « l’attention pastorale aux religions traditionnelles » (1994). Le Conseil pontifical de la Culture et le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux ont publié un document intitulé « Jésus-Christ porteur d’eau vive. Une réflexion sur le « Nouvel Âge » (2003), invitant les catholiques « à comprendre la doctrine et la spiritualité catholiques authentiques de manière à discerner correctement les thèmes de ce courant ».

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Tout ce que nous venons de voir n’appelle pas de conclusion. Je voudrais simplement évoquer un fait : toute l’action du saint-siège que nous n’avons fait que tracer à très gros traits, dans sa diversité et son universalité, est menée depuis l’État du Vatican par une équipe d’environ deux mille personnes. À titre de comparaison, chez nous à lui seul le ministère de l’Économie et du Budget comprend quarante mille fonctionnaires. De plus, le budget annuel du saint-siège est de l’ordre de 230 millions d’euros et dégage un léger excédent. Je terminerai en soulignant que le pape, quel qu’il soit, est d’abord et avant tout un homme. Sa personnalité imprime sa marque au pontificat. La différence entre Benoît XVI et Jean-Paul II, par exemple, est patente. Cet homme a ses centres d’intérêt : Jean-Paul II continuait à faire des excursions en montagne et faisait de la natation l’été à Castelgandolfo, Benoît XVI se détend en jouant du piano et en lisant des livres de théologie. Il a eu l’occasion de revenir dans son village natal de Marktl-am-Inn, en Bavière, et de s’y recueillir sur la tombe de ses parents.
Le pape est un homme de son temps. Jean-Paul II a fait entrer l’Église catholique dans l’ère de l’informatique, inaugurant le site internet de la Conférence des évêques de France à Tours, en 1996. Désormais, le pape est quelqu’un qui accorde habituellement des entrevues à des journalistes, qui publie des ouvrages, voire ses souvenirs autobiographiques.
Homme de son temps, mais qui transcende le temps. Il est le gardien de l’intégrité de la foi catholique et le prophète des temps à venir. Il dépasse donc les clivages traditionnels. « Progressiste ? Conservateur ? » Je répondrai à cette question en reprenant la conclusion de mon « Que sais-je ? » consacré à Jean-Paul II : « En réalité, les motifs qui poussent (le pape) à se faire l’avocat des pauvres, de la paix, des droits de l’homme, sont les mêmes qui le voient condamner l’avortement et l’euthanasie et défendre la vie à tous ses stades » (D. Le Tourneau, Jean-Paul II, P.U.F., 2004, p. 124), un homme qui peut aborder tous les sujets avec hauteur de vue, car il n’est pas tributaire des intérêts humains, mais se veut le Serviteur des serviteurs de Dieu, dans une Église qui est, pour reprendre la formule de Paul VI à l’ONU, « experte en humanité ».
Si jamais quelqu’un doutait encore de l’utilité d’un pape de nos jours, nous constatons, au terme de cette étude, nécessairement limitée et incomplète, mais cependant sufisamment significative croyons-nous, que le rôle et la place de l’Église catholique sur l’échiquier mondial ne cessent de s’accroître, ce qui correspond manifestement à un besoin de notre temps ressenti comme tel tant par les populations rencontrées que par les organisations internationales et par les chefs d’État et de gouvernement.

Dominique Le Tourneau
2 avril 2009

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